En 1848, intervient un changement important dans la vie des carriers qui exploitent le grès en forêt de Fontainebleau : la ville de Paris décide de ne plus se fournir en grès à Fontainebleau, mais en Belgique. Les carriers décident d'écrire une pétition pour protester, ils prennent leur plus belle plume pour s'adresser à leurs hommes politiques de l'époque. Les Archives départementales ont toujours ce document qui est très intéressant et même assez émouvant, reflet d'un temps révolu.
Pétition des carriers |
Citoyens,Cette pétition est le chant du cygne des carrières dans la forêt de Fontainebleau, coïncidant avec le début du tourisme dans la forêt (construction de la gare de Fontainebleau-Avon, succès du balisage de Claude-François Denecourt.). Cette pétition signe la fin d'une ère pour la forêt.
Les soussignés Délégués des ouvriers carriers
de la forêt de fontainebleau, vous prient d'accorder
votre sollicitude à l'exposé suivant.
Depuis plus de deux cent ans, la seule
industrie des ouvriers de la ville de fontainebleau et
des communes attenantes à la forêt, consiste dans
l'extraction des pavés, pour les travaux de la route et
principalement dans la ville de Paris.
Depuis plusieurs années MMr les ingénieurs
de la ville de Paris, ont cherché sous divers prétextes,
à restreindre les approvisionnements que la ville avait
l'habitude de faire dans nos localités, au profit de
nouvelles carrières, appartenant à des particuliers
aux environs de Paris.
Cependant les travaux publics, des routes, des
communes des compagnies et des particuliers, ayant pris
en même temps un plus grand développement, notre industrie
n'avait pas encore beaucoup souffert de la restriction
faite par MMr les ingénieurs, de l'emploi des pavés
de Fontainebleau dans la ville de Paris. Mais Messieurs
les ingénieurs ont aggravé notre position, en supprimant
presqu'entièrement les provenances de nos localités, au profit
de pavés tirés de la Belgique.
Depuis nous avons appris que dans le projet du
nouveau bail, Messieurs les ingénieurs avaient exclus
définitivement tous les pavés de fontainebleau.
Nous ne pouvons nous expliquer dans quel but
et comment après tant d'années , où il a été reconnu par
expérience qu'il existait dans la forêt de fontainebleau
une quantité innombrable de rochers dont la production
était d'une excellente qualités.
Messieurs les ingénieurs ont résolu d'anéantir
presqu'en partie, l'industrie qui fait vivre plus de deux
mille familles de français au profit d'ouvriers étrangers.
En ce moment surtout les marchands de pavés
de fontainebleau étant encombrés de pavés fabriqués cet hiver
qu'ils ne trouvent pas à livrer au commerce par suite de la
suspension des affaires particulières refusent de nous occuper
ou d'acheter les pavés que nous avons obtenu de fabriquer
pour notre compte , dans les diverses localités de la forêt.
Dans cette circonstance, nous venons, Citoyens
Gouverneurs au nom de tous les ouvriers carriers de la forêt
de fontainebleau nous prier d'accorder votre protection
à notre malheureuse industrie qui dans les temps prospères
suffit à peine à nourir nos familles, malgré les plus
pénibles et les plus rudes fatigues.
Nous vous prions d'imposer à Messieurs
les ingénieurs l'obligation :
1° De supprimer entièrement les pavés provenant
de la Belgique au détriment de notre sol, dont la qualité
est au moins égale , et le prix infiniment inférieur.
2° L'emploi de nos pavés pour les travaux du
gouvernement en concurrence de ceux provenant des carrières
des environs de Paris.
3° L'approvisionnement de la moitié des dépôts
de pavés de la ville de Paris pour les travaux d'entretien.
Nous pensons Citoyens Membres du Gouvernement
que votre sollicitude pour tous les citoyens français nous
fera accueillir favorablement notre juste réclamation et que
vous ne voudriez pas que deux mille familles qui ne demandent
que de l'ordre et du travail puissent périr de misère par
l'influence de Messieurs les ingénieurs et par les rigueurs
qu'ils exercent sur les fournisseurs de nos produits par
suite de de prévention injuste.
Veuillez Cytoyens Gouvernants agréer
l'assurance de notre profond respect...
fontainebleau ce vingt mars mil huit cent quarante huit
suivent les signatures
Joseph Charmeux à avon
Gabin à Bourron
Paillard à Achères
Poincaré à Bourron
florand bourron
Pierre victor hutte
à Recloses
Durand à fontainebleau
Benjamin maréchal à fontainebleau
pauly carrie à fontainebleau
Leleau carrie à fontainebleau
Cousin
BF
Badlet carrier à fontainebleau
GB
jules Cottey
(...........)
Tissier Louis
Prudhomme
Legrand
navarre
vincent
Versé en mairie pour la législation (?) (....)
Voici comment un témoin contemporain de l'époque, Paul Domet, relate cette fin des carriers:
Quoique le chiffre des pavés livrés aux services publics
atteignit encore deux millions cinq cent quarante mille,
en 1847, le mois de février de l'année suivante trouva
cette industrie dans un grand marasme. Nos produits
venaient d'être mis à l'index par les cahiers des charges
de la ville de Paris. Ce fut un bienfait pour la forêt qui,
faute de commandes ne fut pas envahie avec autant
d'acharnement qu'aux Révolutions précédentes. Cette
défaveur était le résultat d'une manœuvre des principaux
entrepreneurs qui, propriétaires de carrières de grès
dans d'autres pays, s'étaient entendus pour faire adopter
ces dernières, à la place de celles de Fontainebleau qu'ils
avaient discréditées en livrant, systématiquement, de
mauvaises marchandises. Les ouvriers voulurent réagir
contre cette dépréciation et s'affranchir de l'entremise
des entrepreneurs; ils se constituèrent en une Société,
sons la raison Jean Bonnion et compagnie (avril 1849).
Mais Ia plupart des carriers, trouvant plus facile l'exploi-
tation des pierres tendres, continuèrent à fournir des
produits d'une qualité inférieure; la société ne vécut pas
longtemps, et l'industrie du grès n'a jamais, depuis, re-
pris sa prospérité ancienne. p.222
Histoire de la forêt de Fontainebleau
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